LE KATHAKALI -II. Rite et théâtralité-

Publié le par Emilie L

A l’heure d’aujourd’hui, le Kathakali est encore très lié au rituel religieux, à cause des thèmes mythologiques des pièces. Bien qu’il soit souvent joué lors de célébrations religieuses, il est désormais joué aussi lors de fêtes populaires ou historiques, voire même familiales. Le drame, dans sa forme la plus courante, met en scène des dieux et démons qui combattent, le Bien gagnant toujours sur le Mal. Cependant, à partir de 1930, on constate un renouveau dans l’écriture des œuvres, qui s’inspirèrent de La Bible, de Shakespeare, ou de thèmes d’actualités. Mais ces formes restent tout de même marginales. Il est vrai que le jeu des acteurs, leur danse, rappelle toujours la transe religieuse : tremblements, corps en appui sur la tranche des pieds, mouvements roulés des yeux… La lampe à huile qui éclaire la minuscule scène (environ 6 m²) n’est pas non plus sans évoquer la lumière divine et l’autel.
Les costumes du Kathakali et le maquillage de l’acteur contribuent à créer un personnage surnaturel, notamment grâce aux effets de proportions. Le costume, très lourd et très chargé, rend l’acteur extrêmement volumineux. Le maquillage en relief, et la barbe pastiche vont également dans ce sens. L’entrée en scène de l’acteur est un événement particulièrement impressionnant. Un roulement de tambours retentit pour annoncer l’entrée, l’acteur est caché derrière un rideau, mais on peut voir ses pieds. Puis il sort une main ornée de faux ongles, puis montre son visage une seconde, pousse des cris, et enfin se Kathakali-20Lear-2099-20London-20Globe-20001.jpgdévoile brusquement. Le spectateur comprend donc dès le début du spectacle qu’il est face à un être surnaturel. La mise en scène inclut un suspens, grâce à la musique, mais aussi grâce au dévoilement progressif du corps costumé et maquillé de l’acteur. Aucun élément ne vient rappeler le quotidien : pas de décors ou de costumes réalistes. Le Kathakali fait appel à l’imagination, tout comme la foi. On retrouve la caractéristique des costumes imposants dans de nombreuses formes de théâtres religieux tels que la tragédie antique (masques et cothurnes), ou le Nô japonais (costumes raides et disproportionnés). La théâtralité pure semble donc aller de pair avec la religiosité. L’effet d’artificialité crée le personnage surnaturel religieux.
Il faut signaler également que l’acteur de Kathakali est croyant, presque prêtre. Pour pouvoir incarner un dieu, il faut croire en lui. Etre acteur de Kathakali est une vocation, une mission, un sacerdoce. L’acteur de Kathakali a dû subir une formation extrêmement dure et austère dès son âge de douze ans et pendant huit ans. Il fait donc de nombreux sacrifices pour devenir acteur. Dans les écoles de Kathakali, les entraînements physiques débutent à quatre heures du matin et se terminent à neuf heures du soir. Seul le dimanche n’est pas travaillé. Les enfants doivent mériter leur statut et sont éduqués dans une atmosphère sacrée, dans le respect de la religion. Les représentations de Kathakali sont gratuites pour les spectateurs, donc les acteurs ne peuvent en vivre. Alors souvent, ils sont servants dans les temples en plus d’être acteurs, ou bien ils deviennent à leur tour professeurs et transmettent leur ferveur religieuse aux élèves. L’aspect rituel et cérémonial du spectacle n’est rien vis-à-vis de la préparation des acteurs. La pose de leur maquillage est extrêmement codifiée, les acteurs se déchaussent en silence, à la lumière d’une lampe à huile, et s’allongent afin d’être maquillés par un spécialiste en respirant profondément. L’habillage est quant à lui similaire au rituel d’habillage d’un prêtre. L’acteur porte chaque vêtement à son front et prononce des prières avant qu’on lui mette le vêtement.
 Le spectacle Kathakali est donc en lien direct avec la religion : ses pièces mettent en scène des épopées mythiques, des dieux et démons, et les mouvements du corps de l’acteur évoquent ceux de la transe religieuse. Les costumes et maquillages donnent à l’acteur une dimension surnaturelle afin de représenter la divinité et l’au-delà. Les acteurs, quant à eux, sont formés dès leur plus jeune âge dans une atmosphère sacrée, et leur préparation psychique avant d’entrer en scène est une véritable cérémonie. Est-ce donc cette dimension sacrée du théâtre Kathakali qui inspire les metteurs en scène occidentaux ?

Publié dans Théâtre

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